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Wébinaire (en ligne : vendredi 24 mars 2023 de 12h à 14h)
Intervention 1 : Quelles trajectoires pour analyser et comprendre la radicalisation
INTERVENANTE : Claire LITTAYE
La radicalisation appelle à l’étude d’un processus visant, dans le cas du djihadisme, à comprendre ce qui a mené l’individu à passer à l’acte violent ou à l’avoir envisagé. Si le terme de trajectoire est fréquemment employé et associé à la radicalisation, il n’est jamais défini en tant qu’appliqué à la radicalisation et ne fait l’objet d’aucune méthode permettant de s’en saisir et de le rendre opérant. Claire Littaye propose de redéfinir la notion de trajectoire à l'aune de la radicalité djihadiste. Afin d'accéder à une matière biographique suffisante, elle a choisi de s'appuyer sur des procès pour faits de terrorisme. À partir de l’analyse des audiences, elle a pu collecter une "matière trajectorielle", retracer la biographie des accusés de manière chronologique et identifier des périodes structurant leurs trajectoires.
Issue d'un parcours résolument interdisciplinaire, Claire Littaye est aujourd'hui docteure en sciences et techniques de la cognition après avoir soutenu une thèse sur les trajectoires de radicalisation djihadiste. Durant 5 ans, et à partir de l’analyse de procès pour faits de terrorisme, elle a travaillé sur l'élaboration d'une méthode d'analyse de trajectoires humaines. Actuellement post-doctorante à l’université de technologie de Compiègne (UTC), son travail consiste à éprouver la méthode d’analyse par les trajectoires sur d’autres cas et à partir d’autres terrains que les procès. Dans l’optique d’une méthode voulue saisissable, Claire Littaye travaille avec des partenaires industriels sur la conception et le développement de solutions logicielles visant à instrumenter la méthode.
Intervention 2 : Retour sur les émigrations en Syrie, Utopie, contre-utopie
INTERVENANT : Hamza ESMILI
La communication interroge les flux et reflux de l’engagement pour le djihad parmi les émigrés depuis la France vers Syrie. En examinant les sémantisations successives et parfois concurrentes de cette notion parmi ceux qui lui confèrent une signification existentielle, il s’agit simultanément d’interroger les circonvolutions de l’utopie religieuse par le prisme des idéaux qui la fondent et de leurs devenirs historiques. Adoptant un point de vue de sociologie de la connaissance (Mannheim 2006 [1929], pp. 215-253), je vise à montrer que la poussée utopique que fonde l’émigration en Syrie est consubstantielle de l’esthétisation de tendances morales qui parcourent les sociétés dont sont issus les émigrés – qui affirment ainsi venir en aide aux « musulmans opprimés » par le régime de Bachar al-Assad –, puis que l’échec de leur transfert à la société syrienne des zones libérées aboutit à leur renversement contre-utopique lors de l'établissement du gouvernement territorialisé de l’État islamique. Enfin, à la suite de parcours de durée variable en son sein, la défection ou la fuite en avant nihiliste apparaissent aux émigrés comme seules issues possibles de leur engagement.
À l’encontre des théories dominantes de la radicalisation, lesquelles souffrent inévitablement d’un biais individualiste, l’appui sur la sociologie de la connaissance permet de réinscrire l’engagement pour le djihad dans une expérience collective – celle du groupe social que forment les immigrés et leurs enfants – et la forme de pensée qui lui est propre[1] – c’est-à-dire la réaffiliation à la tradition islamique et son réagencement au sein de l’immigration postcoloniale et ouvrière en cité.
Hamza Esmili est chercheur postdoctoral à la KU Leuven (Belgique). Il a soutenu une thèse de doctorat en sciences sociales à l’EHESS en 2021, sous la direction conjointe de Bruno Karsenti et de Patrick Michel. Ses intérêts de recherche portent sur la socio-anthropologie de la tradition islamique, tant en contexte diasporique que s’agissant des sociétés à majorité musulmane. Certaines de ses publications académiques ont paru récemment ou sont en cours de parution dans Tumultes, Multitudes, le Journal des Anthropologues, Raisons politiques, etc. Hamza Esmili anime également la revue Conditions – Actualité des communautés musulmanes d’Europe et d’au-delà.
Cette conférence est organisée dans le cadre du programme de recherche ANR TROC (Terrorists Reintegration in Open Custody) / Réintégration sociale des personnes incarcérées pour terrorisme en milieu ouvert en partenariat avec l'Association Française de Criminologie. L’objectif de cette recherche multidisciplinaire est d’étudier les freins et leviers de la réinsertion sociale des personnes incarcérées pour faits de terrorisme et des détenus de droit commun suspectés de radicalisation (TIS/DCSR).
Pour en savoir plus : https://troc.hypotheses.org